Spécificités et bénéfices des thérapies à médiations artistiques.
On distingue certains arts utilisés en thérapie à médiation artistique par l'ajout des disciplines concernées (danse-thérapie, drama-thérapie, musicothérapie, ...), mais puisqu'ils ne font pas tous l'objet d'une mention particulière, je garderai ici le terme générique d'art-thérapie pour parler de l'ensemble des pratiques artistiques proposées dans l'accompagnement thérapeutique et psycho-thérapeutique. Puis je préciserai les différents arts utilisés et leurs spécificités selon les besoins et difficultés rencontrées par les personnes qui souhaitent s'orienter dans cette démarche pour accompagner un processus thérapeutique ou de développement personnel.
Les art-thérapies, qu'est-ce que c'est ?
Les arts ont de longue date été utilisés pour soulager les souffrances humaines. Ainsi, la musique est reconnue depuis l'antiquité pour apaiser les angoisses, et, dans les lieux où l'on soignait les malades, étaient fréquemment exposées des peintures qui amenaient les personnes alitées à échapper à leur condition par la méditation à laquelle les invitait l'observation de ces oeuvres. L'histoire rapporte de nombreuses anecdotes sur les bénéfices de l'art ou de la pratique artistique, pour exemple, Jean-Sébastien Bach aurait composé les Variations Goldberg pour soigner les insomnies du comte Van Keyserlingk.
"Introduites en milieu hospitalier au XVIIIème siècle, les pratiques artistiques ont permis, par l'apaisement qu'elles procurent en détournant l'attention des patients de leur agitation et en ouvrant un espace d'expression, de traiter plus humainement les malades en psychiatrie. Le développement de ces pratiques dans les pays anglo-saxons au début du XXème siècle concomitant à l'ouverture des approches artistiques avec les courants dadaïstes et surréalistes, ont renforcé l'intérêt porté à cet "art singulier" libre de références culturelles. Les premiers ateliers d'art-thérapie français furent mis en place à l'Hôpital Sainte-Anne et suivis de publications scientifiques." Extrait - Art-thérapie, principes, méthodes et outils pratiques - Anne-Marie Dubois - Ed. Elsevier Masson 2017
Aujourd'hui, l'art-thérapie poursuit son développement dans les applications de santé plus largement, comme technique complémentaire de soin en gériatrie, oncologie, néonatalogie, neurologie, soins palliatifs, rééducation et psycho-thérapie notamment, mais aussi dans les domaines éducatif, social et culturel. La diversification des psycho-thérapies pour un public de plus en plus large soulève la question de la formation des praticiens qui doit s'articuler sur les trois domaines que recouvre l'art-thérapie. Les formations universitaires françaises permettent l'accès au titre d'Art-thérapeute encadré par un code de déontologie. L'activité d'Art-thérapeute est une pratique de soin - ou de développement personnel - qui utilise le processus de création et les ressources de l'expression au service d'un projet d'accompagnement thérapeutique ou dans une démarche d'évolution individuelle.
L’art-thérapie s’adresse aux personnes en difficulté (physique, psychologique, sociale ou existentielle) plus particulièrement celles ayant du mal à s’exprimer par la parole seule. Le but n’est pas artistique, ce n’est pas l’esthétique ou la technique qui prévalent. Il s’agit de laisser des images, des ressentis, des pensées, des rêves se manifester à travers la création, soit qu’ils proviennent de souvenirs, soit qu’ils projettent vers l’avenir. Le geste créateur mobilise le corps et sollicite l’imagination, et le rôle du thérapeute n’est pas d’interpréter la production mais d’accompagner et soutenir la personne dans la transformation vers un meilleur équilibre intérieur, émotionnel, physique et spirituel. La relation thérapeutique, le processus de création et la production sont les moyens spécifiques de l’art-thérapie.
« L’art-thérapie amorce un mouvement vers ce qui peut être, ce qui peut se représenter dans le symbolique et se mettre en processus d’une création à l’autre. L’art-thérapie est un projet qui tente de relever le défi de la transformation, au moins partielle, de la maladie physique ou mentale, du malaise, de la marginalité douloureuse, du handicap, en enrichissement personnel. La douleur, le mal, le trauma deviennent des épreuves que la personne doit surmonter, dépasser pour en faire une étape de son cheminement.
L’art-thérapie comme toute vraie thérapie est un accompagnement du travail d’un sujet sur lui-même, d’une « auto-thérapie », avec la particularité qu’il le fait à travers ses productions soutenues par l’art-thérapeute. Celui-ci permet que ces productions issues de la personne tracent un parcours symbolique vers un « être davantage » qui comprend forcément un « aller mieux ». » L'art-thérapie, Jean-Pierre Klein - Cahiers de Gestalt-thérapie 2007/1 (N°20)
Quels arts pour quelles indications et quels bénéfices ?
Les arts plastiques offrent une palette large de possibilités : le collage, le dessin, le modelage, la peinture qui peuvent se combiner, s'alterner pour permettre une expression à facettes multiples. Ils sont à privilégier pour les personnes dont la capacité d'expression personnelle est malaisée - les personnes timides, celles qui n'aiment pas parler ou interagir avec d'autres. Le silence et le rythme calme qui accompagnent ces pratiques facilitent l'introspection, l'apaisement, la recherche sur un temps long de ce qui veut émerger de soi - parfois des souvenirs enfouis dans l'inconscient. S'approprier les couleurs, les formes, la matière avec ses mains permet d'intégrer et de traduire des émotions et sensations qui ne pourraient pas se manifester autrement, et ainsi libérer une capacité expressive souvent ignorée. Le dessin est plus exigeant techniquement si l'on ne veut pas se limiter aux formes abstraites mais assez varié selon que l'on utilise crayon, encre, plume, feutre. C’est une activité qui favorise la concentration et le lâcher prise ; elle agit profondément comme anti-stress et invite à la méditation avec des effets similaires.
Le collage et surtout le modelage se distinguent d'une part par le relief qu'ils apportent à l'oeuvre - cette troisième dimension qui place le sujet en observateur détaché de l'objet spatial et temporel - et d'autre part parce que la matière va directement subir la transformation induite par les mains et les outils pour manifester la profondeur appréhendée sous tous les angles, celle de l'objet et celle du sujet, simultanément. La personne façonne et transforme son espace intérieur et extérieur jusqu'à modeler son apparence psycho-corporelle dans la terre brute ou dans le collage de matériaux (papier, carton, tissus, ficelle, bois,...). C’est une activité qui stimule la transformation de la vision de soi et du monde en structurant la représentation du sujet à travers l’objet. Elle favorise l'estime de soi.
L’expression théâtrale ou drama-thérapie, par ses exercices très variés et le jeu sur le "je" permet d'aborder différentes situations, changements de comportement et de personnalité pour développer la conscience de soi dans sa relation avec le monde et améliorer le bien-être psychique. Elle se pratique plus généralement en groupe pour favoriser l'interaction de l’individu avec le groupe et faire appel à l’imagination et la spontanéité de l'improvisation pour rejouer des scènes de la vie courante dans une version à même de désamorcer des blocages. Par l’intermédiaire de marionnettes, la distanciation entre la personne et le personnage facilite davantage l’expression verbale et la prise de recul face aux situations mises en scène. Par le mime, le jeu est plus abordable pour les personnes en difficulté avec la parole. C’est une activité qui stimule l’expression verbale et non verbale, les mouvements corporels et psychiques en vue d'exprimer l'inconfort émotionnel, résoudre ses conflits et s'engager dans un processus de changement personnel pour une meilleure façon d'être qui favorise le lien social.
Le chant, parce qu’il fait appel à l’appareil respiratoire et à l’appareil phonatoire, tous deux particulièrement sensibles aux émotions et influences extérieures comme intérieures (fatigue, coup de froid, stress, …), mais aussi aux fonctions cognitives – la mémoire en particulier – et à la constitution physique globale, le chant est le plus exigeant et le plus impliquant sur les plans physique et psycho-émotionnel. Il est accessible aux personnes en assez bonne condition physique et permet d’évacuer des émotions et mémoires délicates chez des sujets assez à l’aise avec leur expression personnelle, physique, psychique et verbale. En mobilisant le corps autant que le mental il facilite la libération d'énergie négative contenue : douleur, colère, tristesse ...
En écoute réceptive le chant contribue à un apaisement renforcé par le caractère intime de la voix humaine, particulièrement adapté en néonatalogie et soins palliatifs.
La danse ou danse-mouvement.
Elle permet de prendre contact et d’apprivoiser le corps. Retrouver des sensations et se mettre en mouvement et en rythme accordé avec ses ressentis, physiques et émotionnels, pour explorer l’énergie vitale, se réapproprier l’enveloppe corporelle comme outil de son expression individuelle. La danse, sans être académique, va néanmoins rechercher une approche esthétique, un « style » induit par les musiques sur lesquelles la personne se sentira plus à l’aise pour exprimer ses ressentis. La danse-mouvement quant à elle est libre de toute influence stylistique. Le seul fait de bouger, de ressentir et d’exprimer dans et avec son corps est recherché.
Elles facilitent le rééquilibrage des relations de l’être avec sa dimension corporelle notamment pour l’estime de soi, dans les troubles du comportement alimentaire, certaines formes d’autisme et le stress post-traumatique.
L’écriture
En faisant appel à la fois à une expression gestuelle et intellectuelle tout en restant dans l’intimité de l’être et le silence, l’écriture stimule les fonctions cognitives et favorise la visualisation et le processus de déconstruction des mécanismes et influences à l’oeuvre dans le mal-être psychique, qu'il soit ou non corrélé à une profonde interrogation et/ou un mal-être existentiel. Elle facilite la prise de distance, le décryptage des situations rencontrées et la façon dont elles sont gérées par la personne et comment elle y répond. C’est, avec les arts plastiques, le médium adapté pour les personnes qui ont des difficultés à s’exprimer verbalement et à s’exposer physiquement. La possibilité de lire ses écrits à voix haute est néanmoins donnée à la fin des séances.
L’écriture autobiographique est aussi un outil précieux dans l’accompagnement des personnes âgées et celles souffrant de maladie d’Alzheimer pour stimuler la mémoire et contribuer à la transmission.
Pour les personnes qui souhaitent comprendre les événements de leur parcours et développer leur potentiel, elle est aussi le moyen par lequel elles vont pouvoir explorer de manière approfondie leur biographie et mettre en relation les étapes de leur évolution individuelle, les blocages et récurrences de situations pour libérer des mémoires émotionnelles et relationnelles.
La musique, avec la multiplicité des instruments, des sons et des ambiances permet deux formes d’approche : active ou réceptive.
- L’écoute musicale ou musicothérapie réceptive favorise l’apaisement par la déconnexion avec la situation présente. Adaptée dans toutes les cas où la personne n’est pas en capacité de mobiliser son énergie pour participer à une activité (néonatalogie, handicap, soins palliatifs, dépression, burn-out, ...). Elle facilite la libération émotionnelle, le relâchement des tensions, et contribue à alléger les protocoles médicamenteux dans le traitement de la douleur notamment (jacuzzi vocal).
- La pratique musicale ou musicothérapie active, en stimulant la créativité libre dans les deux dimensions, mélodique et rythmique, canalise les énergies et facilite l’adaptation et les apprentissages grâce à l’improvisation et la mémorisation. La connaissance musicale préalable n’est pas nécessaire et cette médiation peut contribuer à rééquilibrer des comportements excessifs (intériorisation ou extériorisation) mais aussi des dysfonctionnements auditifs ou de coordination.
Le land-art ou art nature
En proposant une rencontre hors contexte de l’atelier et avec des matériaux non conventionnels, il permet de stimuler la créativité en reconnectant l’individu à la nature. Les repères ne sont pas pré-établis, l’objectif étant de les chercher et les construire dans l’espace et avec les éléments concrets du jardin. C’est une invitation à plus de liberté qui ne conviendra pas aux personnes pour qui l’absence de cadre sécurisant peut, dans un premier temps, être un obstacle à la création. Mais la sensorialité corporelle, les éléments concrets du jardin, la contenance relationnelle et culturelle peuvent suppléer au cadre conventionnel. Le land-art est l’expérimentation possible d’une rencontre autour de la construction d’une œuvre culturelle éphémère à partir d’éléments non culturels. La mise en mots de l’oeuvre qui marque son achèvement permet d’atteindre sa pleine dimension culturelle. L’émergence de pensées et d’impressions autour des photos partagées entre les participants fixent l’expérimentation culturelle commune, et le caractère éphémère de l’oeuvre met en perspective l’advenir de soi. Par le lien créé avec l’environnement naturel le processus de création est renforcé dans son caractère profondément apaisant.
Les applications art-thérapeutiques
En adaptation scolaire, l’art-thérapie pluridisciplinaire facilite les apprentissages et la coopération par la créativité en stimulant l’expression, la concentration, la mémorisation de façon ludique et dans un cadre défini. Il permet en outre aux élèves présentant des risques de décrochage scolaire, et/ou des difficultés d’inclusion, de bénéficier d’une prise en charge adaptée, orientée vers des objectifs ciblés.
En gériatrie, les arts plastiques, le chant, la musique réceptive et l’écriture biographique sont les plus adaptés pour stimuler la mémoire, participer au maintien d’une vie culturelle, au lien social, et pour faciliter la transmission.
En néonatalogie et périnatalité, le chant – et plus particulièrement les berceuses – comme la musique instrumentale douce, contribuent à apporter une ambiance paisible, sécurisante, qui facilitent les échanges et le renforcement affectif entre les parents et le nouveau-né et améliorent le bien-être en stimulant ses capacités de développement neuro-sensoriel. En néonatalogie c’est un soutien majeur aux grands prématurés et à leurs familles et un soin à part entière qui facilite la gestion de l’urgence pour les équipes soignantes.
En psychothérapie et psychiatrie, la production artistique permet au sujet de se re-créer lui-même en déplaçant ses vulnérabilités dans la matière symbolique pour exprimer son vécu. L’art-thérapie offre de travailler sur l’oeuvre pour travailler sur soi-même.
En soins palliatifs, l’art-thérapie permet de limiter voire d’échapper un certain temps aux angoisses, au stress et à la douleur. Il permet le soin de soi et une réparation de l’estime de soi en redevenant acteur de son expression individuelle pour transmettre un dessin, un texte, une peinture à valeur testamentaire, laisser une trace et ainsi retrouver sa légitimité. Il est un moyen extraordinaire pour libérer l’énergie vitale disponible et ouvrir une fenêtre de possibles dans l’environnement médicalisé restreint.
Cette présentation n’est pas exhaustive, d’autres applications existent telles que les arts plastiques ou la danse comme soins complémentaires en rééducation, la peinture et la musique en soins hospitaliers, la musique en neurologie (Avc et Alzheimer notamment).
Bien que peu développé encore en France, l’art-thérapie ou plus exactement les arts-thérapies sont néanmoins validés par des études cliniques qui confirment leur intérêt majeur.
© Sheyby Wilder 12/08/2023
Sources
Créer pour guérir, Fondation Art-Thérapie, CHUG Genève :
Comentarios